J’ai pas envie #3 [AKA la zone grise]

Après la diffusion du documentaire Sexe sans consentement sur France 2, ma sœur m’a contactée en souhaitant connaitre mon avis sur le sujet et si j’avais été concernée par cette zone grise dont le reportage parlait.

Et c’est finalement sans hésitation que j’ai reconnu avoir été presque forcée à avoir des relations sexuelles. En tant que célibataire, et même, en couple.

Mais je vais peut-être trop vite et si vous n’avez pas vu le reportage (malheureusement plus disponible en VOD) ni entendu parler de la zone grise, vous êtes peut-être perdus.

Selon Wikipédia, la zone grise est « en référence au dicton qui veut que rien ne soit « ni noir ni blanc », c’est-à-dire que rien ne soit aux extrêmes : le gris est entre les deux. »

Et appliquée à la sexualité, cette définition parle de ces relations où les femmes (et parfois les hommes) ne savent pas déterminer si elles (ils) ont vécu un viol.

Ces relations où tu finis par céder à l’envie sexuelle de ton partenaire occasionnel (ou pas) pour différentes raisons :

  • peur d’être nul(le) ou de passer pour une allumeuse (un allumeur) ;
  • pour être tranquille, débarrassé(e) ;
  • peur d’être forcé(e) physiquement par la violence et la brutalité ;
  • peur de culpabiliser, etc..

Les raisons sont aussi multiples que les cas concernés.

Dans chacune des histoires de zone grise, la « victime » se demande justement si elle en est vraiment une.

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Parce qu’au début, un lien s’est peut-être créé, on a pu s’embrasser, et même être excité(e) mais sans avoir forcément envie de « passer à la casserole ». On a pu même prendre du plaisir pendant cet acte « forcé ».

Mais le partenaire, utilisant à tort ou à raison la communication non verbale, s’imagine qu’il peut pousser un peu la personne pour obtenir ce qu’il croit être une envie partagée (par naïveté ou par challenge).

Et là, question : est-ce que la personne qui insiste et obtient cette « relation » sexuelle est un violeur ?

Selon le Code pénal (article L.222-23), un viol c’est :

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise (…).

Personnellement, quand je lis ça, je pourrais vous dire que j’ai subi un, voire plusieurs viols, que j’ai connu un paquet d’agressions sexuelles, et que j’ai même été à deux doigts de commettre un viol moi-même.

Je pense qu’on a tous plus ou moins vécu la soirée arrosée qui se termine dans le lit de quelqu’un qu’on vient de rencontrer, à batifoler sans forcément y avoir pleinement consenti. De mon côté, je n’en garde absolument pas des bons souvenirs.

Je me sentais sale et je culpabilisais à mort. J’en voulais au gars pour avoir insisté mais j’en voulais surtout à moi-même, à mon esprit, à mon corps, de ne pas avoir été assez résistants, de ne pas avoir été capables de manifester mon refus, de ne pas avoir réussi à imposer le NON.

Oui tu m’attires, oui j’ai peut-être envie d’avoir des relations sexuelles, mais là, NON.

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Nous avons tellement envie d’être appréciés, nous avons tellement peur du rejet que nous nous laissons embarquer, manipuler bien trop facilement.

Alors oui, j’ai été un peu contrainte, pas forcément consentante, mais je ne pourrais pas dire avec certitude avoir fait, avoir dit ce qui était nécessaire pour lui faire comprendre que je ne désirais pas cet acte sexuel.

Et le pire, c’est que je n’avais pas 18 ans, que je n’étais pas naïve et que c’est arrivé plus d’une fois.

Est-ce un viol ?

Vous avez peut-être connu comme moi les baisses de libido, sous la prise de pilule contraceptive ou pas.

Dans ces moments, ça m’est arrivé d’être avec quelqu’un et de faire « l’amour » en me forçant. Parfois le plaisir venait pendant l’acte (on dit bien que l’appétit vient en mangeant), parfois j’avais envie que ça se termine très vite.

J’ai même connu quelqu’un qui m’accusait d’être frigide (quand un autre me taxait de nymphomanie, allez comprendre !).

La contrainte ne venait pas forcément de l’autre, mais de moi. Je m’imposais ces relations pour être tranquille et LUI faire plaisir.

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On pourrait appeler ça le devoir conjugal.

La femme doit écarter les cuisses pour que son mari puisse prendre son pied. Sinon il la trompera et faudra pas qu’elle se plaigne. D’ailleurs il la trompera quand même parce qu’elle fait la gueule pendant les 60 secondes de pénétration qu’il lui accorde dans sa grande mansuétude.

J’exagère un peu mais pas tant que ça.

Je le répète, c’est d’autant plus difficile quand on est sous contraception hormonale.

J’ai repris la pilule et pour l’instant j’ai moins d’effets secondaires qu’au début mais quand même, je sens bien que ma libido n’est pas aussi intense qu’elle peut l’être sans. Et j’ai presque besoin d’être « chauffée » pour provoquer mon désir. Du coup, je peux comprendre quand les hommes se plaignent de toujours devoir faire le premier pas, d’initier le rapport sexuel. Il est « facile » alors de tomber dans cet acte non consenti.

Est-ce un viol ?

J’étais très amoureuse d’un jeune homme quand j’étais moi-même jeune et fraîche et un jour où je connaissais un petit pic de libido, j’ai eu très envie de lui. J’ai donc commencé à lui exprimer mon désir de manière non verbale (frotti frotta). Il m’a repoussée assez violemment. J’ai été très choquée sur le moment.

Maintenant, en lisant et en écoutant les témoignages, je comprends que j’ai essayé de lui imposer une relation sexuelle à laquelle il n’avait pas consenti. Je n’aurais pas pu le violer (vous n’avez pas vu ma musculature xD) et il a été clair et net dans son refus mais je me souviens avoir insisté longuement.

Je n’avais pas compris qu’il ne puisse pas partager cette envie.

Est-ce que ça aurait pu être un viol ?

Nous tentons bien souvent de dédramatiser ces rapports sexuels ambiguës. A défaut de déterminer si c’est « grave », à défaut de pouvoir utiliser le mot « viol », nous banalisons cette violence ordinaire.

Pour autant, des femmes (et des hommes) ont souffert et souffrent toujours de cette zone floue dans la sexualité.

Et si elle reste floue c’est parce que nous nous laissons faire et ne nous posons pas assez de questions.

D’ailleurs, je trouve que le code pénal sonne faux quand il indique que seul le viol est un crime. Même sans pénétration, toutes les agressions sexuelles ont des conséquences et laissent des traces dans le développement personnel. Un simple attouchement peut vous laisser avec un sentiment de dégoût profond qui vous hante toute une vie (mais ça c’est un autre article à écrire ^^).

Je ne saurais pourtant toujours pas dire avec certitude si ce que j’ai vécu aurait pu/dû envoyer mon partenaire en prison. Chaque cas est différent, chaque histoire a un ressenti particulier ce qui fait qu’il est difficile de généraliser une définition stricte pour l’ensemble des situations.

Que doit-on faire ? Se taire et en faire une expérience comme une autre ? Punir ses monstres d’égoïsme ?

Dans Wikipédia, on trouve une citation très puissante :

Les gens pour qui la vie, c’est « tout noir au tout blanc », ont évidemment tort. Et ceux qui parlent d’une zone grise entre les deux se trompent aussi. La zone grise n’existe pas, c’est une chimère, une illusion, une pure invention faite par ceux qui n’arrivent pas à bien articuler la complexité de la vie. (Mustapha Fahmi, La leçon de Rosalinde, éditions La Peuplade, Chicoutimi (Québec), 2018, p. 70)

Mais la vie est complexe et la sexualité en 2018 avec le préservatif et Biba et consoeurs l’est encore plus !

Les jeunes femmes dans le documentaire de France 2 passent des messages pleins d’espoir en apportant des pistes, en proposant des solutions. Elles parlent d’assumer notre sexualité, de savoir dire « oui » pour que le « non » soit mieux assimilé. Elles expriment la nécessité de la prise de parole pour éviter les malentendus du langage corporel. Plus d’éducation et une meilleure communication permettraient sûrement  d’éviter ces zones grises.

Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est pas si simple.

Les temps changent, les femmes cherchent leur place dans une société encore profondément machiste, mais les hommes en sont également bouleversés.

Je ne suis pas certaine que proclamer une pleine puissance sexuelle pour contrer les horreurs du #metoo soit forcément un gage d’épanouissement pour les deux sexes.

Je sais que les femmes ont besoin d’être (enfin) écoutées. Et en ce moment, après des années, des siècles d’oppression masculine, les femmes s’expriment enfin.

Les hommes ne comprennent pas. Ils trouvent que c’est exagéré et que les féministes n’ont plus lieu d’exister.

Certaines femmes se désolidarisent du mouvement. Elles ne se sentent pas concernées.

Il va peut-être falloir pourtant laisser les femmes se « soulager » pour retrouver une balance dans le rapport entre les sexes. Les hommes doivent également se joindre au débat. En communiquant ensemble, on pourra mieux se comprendre.

L’équilibre est difficile à atteindre, il est encore plus difficile à maintenir.

Articles à lire :

Consentement explicite en Suède
De la résignation au consentement (article payant)
La zone grise en question
Débat Télérama
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J’ai fini par céder
La zone grise, un concept dangereux

10 réflexions sur “J’ai pas envie #3 [AKA la zone grise]

  1. Article super intéressant, on devrait en parler plus et surtout avec son compagnon..
    Non mais je me reconnais dans plusieurs passages, on est toute passé par la case ‘ allez je me force comme ça je suis débarrassé, pour lui faire plaisir, comme ça il me fera pas la gueule ou ne me traitera pas de femme frigide d’ailleurs cet adjectif il a bon dos, tellement facile de le ressortir dès qu’une femme ou un homme te dit non
    Oui parce qu’il y a aussi les hommes qui n’ont pas envie ou dans des couples homosexuels d’ailleurs j’ai aimé l’affiche avec les deux hommes bref oui j’écris comme je pense lol donc c’est pas très clair 😂😂
    Merci Morgane, encore un excellent article à ton actif ( waouuuuuuh que de compliments)

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